Le temps qui passe retourne à l’origine

Oh, depuis combien de temps… ! Et pourquoi ce silence, pourquoi ? Ne s’est-il donc rien passé, d’autre que le temps ? Et l’âge vient, avec la sagesse peut-être, l’usure sans doute. Mais n’y a-t-il pas un lien évident, entre l’usure et le sourire ? Un polissage ?

La pierre, roulée par l’océan, peu à peu devient galet ovale et lisse, brillant d’avoir couru les fonds, connu les vagues, les roulis, galet chargé des dialogues, au passage des baleines. Tout enregistre tout ; car tout relève du grand principe du mimétisme vital. Miroir de miroirs, tout est miroir.

Pesante à l’origine, la pierre s’est concentrée pour révéler son cœur. Du moellon à l’agate, sacré chemin ! Et tous ces sons, ces émissions, comme venues du fond du cosmos, cris de l’océan, des abysses à la surface, chants des mammifères marins, complexes langages qui suggèrent l’existence d’une intelligence intraterrestre, d’une vie, dans ses profondeurs, qui nous dépasse… tous ces sons l’ont nourrie d’une densité vibrante, à même de s’accorder aussitôt à toutes les fondamentales.

Nous, petites choses sur la croûte, nous nous étendons, empire vampire, et la paix mondiale n’est pas pour demain. Et ça se réchauffe, car nous surchauffons tout là où nous passons, persistons, enfonçons la vrille extractiviste de nos certitudes irréfléchies.

Au milieu de tout, l’aïkido, art pacifique entre danse, chant, instrumentalité sonore, marche, respiration, accueil cordial des étoiles et vocation réenchanteresse, cet aïkido modeste qui ne cesse de se chercher, entre gravité (terrestre), lévité (céleste), giration (sphérique), centre vide au cœur de la roue, infime infini, point de circulation, cellule-source dont le noyau se forme à partir du vide, voilà qu’il devient pratique sophrologique fondamentale, essence de la voie corps-esprit, avant même toute dénomination historique ; le voilà comme la pratique première, la pratique-souche et sans nom, pas même chamanique, pré-chamanique, qui s’apparente dès lors à la première prise de souffle du premier être cellulaire, à la première pulsation d’un moteur biologique autonome, d’un bébé univers ignorant ses sédimentations futures ; qui dès lors s’identifie comme origine, pure origine s’originant d’elle-même, étincelle distincte qui veut persister dans son devenir et qui découvre, dans l’instant qu’elle le crée par sa propre lumière, qu’il y a un monde.

Être cela.

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Le poulpe et la gravité : de quelques fondations

poulpe

Les deux dernières séances avaient pour moi quelque chose d’exceptionnel. Comme je n’ai guère le temps, avec une chaudière en panne et des copies en masse à corriger pour vendredi, je ne donnerai ici que quelques pistes éminemment mystérieuses. Elles parleront peut-être aux pratiquants qui étaient présents, mais sans doute aussi à d’autres, qui ont ressenti cet essentiel au cœur de toutes les techniques de pacification que propose l’aïkido.

  1. La bougie fond, mais la flamme monte : gravité, et antigravité, gravitation et lévitation ; les deux simultanément…
  2. La légèreté du haut du corps (buste, bras…) n’empêche pas le bas du corps d’être relié au centre de la Terre dans la sensation de « masse pesante »…
  3. L’ancrage est alors non pas celui de l’arbre profondément enraciné, mais plutôt celui, précisément, d’un lourd tampon encreur, d’un presse papier, mais qui serait plutôt sphérique que plat : la sensation d’être un ballon de baudruche rempli d’eau, lequel est à la fois en bonne adhérence avec le sol et la terre, mais aussi mobile et encore capable de « rouler ». L’ancrage du serpent qui rampe…?
  4. Le poulpe n’a pas de forme, mais chacun de ses bras est intelligent (en effet, à la base de chaque bras du poulpe se trouve un petit cerveau, qui envoie des commandes motrices fines, tandis que le cerveau central du poulpe n’envoie que des « intentions »)…
  5. L’autre vient, puis on s’unit à lui. On bouge notre propre corps, et, ce faisant, on bouge l’autre (mais il est alors inutile de chercher à le faire bouger). Puis on se désunit de lui. Les étapes sont donc : 1) distinction ; 2) com-munion ; 3) désunion…
  6. On reste collé à l’autre « comme un morceau de scotch », guère plus pesant, mais tout aussi tenace (et si léger). Où qu’il aille, le morceau de scotch reste collé à lui. Faille, faiblesse, micro-déséquilibre… ? Et le morceau de scotch – qui perçoit tout – devient tout à coup si pesant, qu’il entraîne sa proie au fond des eaux… Mais lui vole alors au vent…
  7. Quand le vent pousse un bras de la girouette, l’autre revient mécaniquement comme un boomerang…
  8. L’autre vient, il attaque, et la première chose, c’est qu’on est prêt à mourir. Il entre alors en nous, mais il ouvre ce faisant un abîme, et alors nous entrons en lui, plus central en lui qu’il n’était entré en nous. Nous devenons un instant marionnettiste, et lui marionnette. Nous avons « enfilé » en lui notre axe vertical ; si nous tournons, il tourne ; si nous descendons notre centre de gravité, il descend avec nous, tout entier. Nous en faisons ce que nous voulons. Cela ne demande pas plus d’effort que de déplacer notre propre corps.
  9. Autrement dit : j’entre en toi à l’instant où tu entre en moi. « Aï » ! Non seulement du corps, mais du « ki ». « Aï » des « ki ». La rencontre des énergies, la fusion, l’union, la communion, sans plus de distinction durant un instant ; sinon qu’il y a un centre qui commande, un seul, et il est bienveillant. Essence du « do ».
  10. Les démonstrations techniques et les « poses » corporelles, pour faire le beau, n’ont rien à voir avec la voie de l’aïkido, ni avec ses principes énergétiques ou  biomécaniques. On peut faire gymnique et beau, on peut danser tout ça, et c’est super, c’est démonstratif. Mais l’art pacifique n’est pas démonstratif. Le principe invisible est de s’abolir soi-même pour devenir, un instant, le corps-esprit de l’autre. Non l’instant de la victoire, mais celui de la préservation de la vie, en lui, en nous, pour tous.
  11. Quand l’autre attaque, nous, on s’endort ; et il s’endort avec nous. Et là, on se réveille! (On ne dormait pas vraiment, – que d’un œil.)

Comprenne qui pourra.

Limpide après trente ans de pratique. Ou plus.

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Le principe du courant d’air

Les pratiques martiales offrent, chacune à sa manière, un long chemin d’expériences techniques. Exercices de la complexité : le corps humain se confronte à des formes dynamiques qui lui sont de prime abord difficiles. Cela est vrai aussi pour la danse, et pour tous les arts du corps, pas seulement les arts martiaux.

L’esprit, sous sa forme limitée et contractée qu’on appelle l’ego, se confronte également à la difficulté, en éprouvant la gaucherie première d’un corps difficile à discipliner. L’esprit, dans sa zone émotionnelle, se trouve aussi confronté à la peur: celle de « ne  pas y arriver », la fameuse « peur de l’échec » (si particulièrement enracinée dans la psychée collective française !) On se dit: « Comment ça se fait que moi je n’arrive pas à faire ce truc-là ? » Le moi découvre qu’il ne se connaît pas si bien, qu’il s’échappe, déborde de l’illusoire lui-même. Et le corps aussi déborde de l’illusion que nous entretenions de sa maîtrise, si aisée dans les gestes quotidiens. Ouvrir une porte ? Facile. Traverser une rue? Facile. Mais ce sont là des choses que nous faisons depuis la petite enfance, et pour lesquelles nous avons été guidés. Parler notre langue maternelle ? Facile. De même, sans bain linguistique premier, sans entourage humain, sans parents ni maîtres, et sans années de pratique spontanée, nous ne la parlerions pas. A preuve : apprendre une langue à l’âge adulte, quelle galère, souvent ! L’homme fait ne semble plus à faire et ne se refait plus. Question de plasticité cérébrale. Les sciences de la cognition nous offrent chaque jour de nouvelles surprise. Un jour, nous saurons comment rester frais d’esprit pour apprendre toute la vie et refondre à volonté nos états d’esprit et reconfigurer nos énergies.

flux d'air 2

Pourtant, le principe fondamental de tout art martial est très simple, et peut s’acquérir en une séance de travail. Attention : pour qu’il jaillisse de lui-même en situation d’attaque réelle, il faudra avoir beaucoup travaillé sur soi ; mais plus sur ses « peurs » que sur son corps, plus sur son esprit que sur la matière.

Le principe premier de tout art martial, qui découle de l’expérience plurimillénaire des anciens (et non d’un art martial – en général récent – et qui sortirait du cerveau de quelque interventionniste percussif agressif sans profondeur sensible) – ce principe premier est : la NON RÉSISTANCE.

Si l’on veut, on peut également l’appeler NON RÉACTION, plus justement NON RÉACTIVITÉ, ou, dans ses premières traductions à partir du chinois, NON AGIR (wu wei).

Pour le comprendre, il suffit d’observer avec une sensibilité quasi mimétique une girouette qui tourne dans le vent. Ou d’éprouver la nature et le flux des courants d’air. Ou de l’eau qui coule et qui accueille. Il faut parvenir à s’identifier à ces manifestations.

flux d'air

Pour le mettre en pratique et le réaliser en soi en une heure de travail seulement, il conviendra, en étant guidé par quelqu’un d’expérience, de travailler ce qui suit, au travers de quelques exercices choisis, et dans l’ordre suivant :

  • le relâchement complet de son corps, puis sa reconstruction lente du bas (le niveau du sol, une dimension, horizontale) vers le haut (le niveau aérien, vertical, d’où s’ouvrent les trois dimensions). Autrement dit : éprouver la gravité terrestre (l’attraction terrestre) d’abord dans la non forme, puis dans la forme (du corps) dans chacun de ses segments et chacun de ses organes (et même aussi, par la suite : dans les tendons, dans le flux sanguin, etc.). Comme un être qui, partant d’un état lyophilisé sans dimension, retrouverait toutes ses dimensions par hydratation.
  • la perception complète d’un axe vertical central : la colonne vertébrale, idéalisée et ressentie comme un axe vertical qui irait jusqu’au sol, et même s’enracinerait au centre de la Terre, et qui s’étirerait de l’autre côté jusqu’au plus profond du ciel… jusqu’au fin fond de l’univers.
  • la rotation de tous les segments et de toutes les masses du corps autour de cet axe vertical étiré (tendu comme un élastique, comme la corde d’un instrument) entre deux infinis, dont le centre sera éprouvé comme vide. (Le centre de gravité absolu, « mathématique » d’une chose, est vide. Nul n’ignore plus ce passage du Tao-tö-king de Lao Tseu : « Trente rayons convergent au moyen / Mais c’est le vide médian / Qui fait tourner la roue (ou marcher le char) »)
  • Et pour finir, un exercice de poussées variées : devenu une girouette parfaite, vous êtes mu autour de votre axe vertical par tous les « courants d’air », quelles que soient les poussées qu’on vous donne du plat de la main, et à quelque endroit de votre corps que ce soit. Vous parvenez à faire l’expérience de la totale non résistance. En partie déstructuré, vous ne perdez pas votre axe, vous y revenez toujours naturellement (comme la branche élastique d’un saule, comme un roseau « qui plie mais ne rompt pas » dans le vent et retrouve sa forme initiale sans aucune volonté de sa part.)

 

Ceci revient à laisser l’ego au vestiaire pour redonner au corps sa confiance. Ceci apprend à cesser de vouloir toujours être dans le contrôle, pour entrer dans la confiance de ce qui, en nous, est génétiquement câblé depuis des millions d’années : le processus d’homéostasie. Votre corps, autant dans ses dimensions anatomiques que physiologiques (mais aussi psychiques) cherche continuellement à (r)établir son équilibre, qui est l’état où il dépensera le moins d’énergie pour rester vivant et exister. La plupart du temps, l’ego fait obstacle à ce processus naturel d’homéostasie. Notre volonté égotique nous déracine de notre nature ; elle vient exiger du corps et de tout l’être des choses qui sont contraires à son processus naturel et constant de rééquilibrage. Le corps, contrarié, se bloque, et somatise : crampes, contractions, blocages respiratoires… visage renfrogné, etc.

Ce principe peut être découvert, éprouvé et « compris » en une heure d’exercice. Il va de soi que pour l’assimiler au point qu’il devienne naturel, il faudra de nombreuses autres heures de pratique. Mais l’effet peut être rapide dans la vie quotidienne… si l’on accepte qu’il puisse y être transposé dans toutes les dimensions de votre présence : sociale, verbale, etc.

Une dernière image, explicite, métaphorique, celle d’un manchon de tissu dans le vent.

Manchon de tissu dans le vent

La forme d’existence d’un tel manchon est entièrement orientée vers l’accueil du vent. Le manchon n’existe d’ailleurs pleinement, il ne se réalise totalement que pris dans le vent, traversé par lui. Là il se gonfle, s’exprime, assume sa fonction (en l’occurrence, de balise). C’est l’exemple même de la non résistance qui ne perd pas son être, mais qui le réalise par la non résistance.

Mais nous ne sommes pas, physiquement, des « manchons » (plutôt, souvent, des « manches », à balai), mais des corps de mammifères, avec un squelette, qui ont acquis, après des millions d’années d’évolution, la position verticale (pour laquelle ils ne sont d’ailleurs pas encore tout à fait adaptés, et encore en évolution).

De l’état d’homme égotique bloqué (le bloc de marbre), à l’état idéal de libre manchon dans le vent (celui des « immortels » chinois qui « chevauchent les nuages », Tchouang Tseu), il y a l’étape de la verticalité mobile dans la gravité, qui offre une première belle expérience de la non résistance, le principe fondamental de tout art (martial ?) pacificateur.

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Un art de la paix

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L’aïkido est un art de la paix. L’aïkido est un art de la paix. De la paix. De la paix. La paix.

En latin, la « pax » était la tranquillité, le repos… après la guerre ! Puis, au Xe siècle, le mot a signifié la concorde, la tranquillité qui règne dans les rapports entre deux ou plusieurs personnes ; le rapport calme entre concitoyens, l’absence de troubles, de violence.

Disons-le : si l’aïkido ne contribue pas à la paix sociale, il ne sert pas à grand chose.

Et l’efficacité martiale ? Ne pratiquons-nous par un « art martial » pour être à même de nous défendre des éventuelles agressions ?

Et le développement personnel ? Ne pratiquons-nous pas aussi l’aïkido pour nous sentir mieux dans notre corps, mieux dans le monde, plus équilibré à tous égards ?

C’est vrai, on peut pratiquer pour soi, dans une optique limitée à notre personne. Et c’est le plus souvent le cas. On peut aussi le pratiquer pour servir un groupe, comme une fédération, par exemple. Cela se trouve aussi souvent, à partir d’un certain grade. On peut y trouver un bénéfice personnel, la satisfaction de se fondre dans un ensemble bien hiérarchisé, parfois un peu de gloire, éphémère.

On peut pratiquer et se sentir relié à quelque chose de l’ordre du sacré, voire du divin, à une forme de transcendance. Certains états d’énergie peuvent nous donner cette impression ; qui est, peut-être, une réalité. Rappelons-nous que l’aïkido émerge d’un terreau tout de même fortement mystique, d’une part inspiré par le bouddhisme Shingon, une branche ésotérique du bouddhisme, et d’autre part par la « religion (ou la spiritualité) des kamis » (le Shintoïsme, comme on l’appelle en Occident).

Situé entre toutes ces dimensions de la pratique, plus ou moins individualiste, plus ou moins collectiviste, plus ou moins officielle et « administrative », plus ou moins religieuse ou spirituelle sinon mystique, il y a une utilité pratique, sociale, qui relève du bon sens psychosomatique dans un monde troublé, agité, inquiet, terrorisé (et j’évoque bien ici le terrorisme qui frappe le monde urbain). Cette utilité consiste à pratiquer l’aïkido pour favoriser la paix sociale. L’aïkido est un moyen d’accroître la paix sociale. Il accueille, il dérive, canalise, neutralise, apaise. Son principe peut être étendu à l’usage du corps dans la vie sociale, à l’usage de la parole, au verbal comme au non verbal.

Comme c’est facile à écrire ! Car comment faire passer dans la vie « de tous les jours » ce qui est éprouvé au dojo ? Comment l’amélioration somatique et morale ressentie peut-elle perdurer, résonner, nourrir cette vie quotidienne ? Pourquoi les forces mauvaises, les « énergies négatives » de notre vie professionnelle, par exemple, nous tiennent-elles aussi puissamment dans leurs griffes ? Pourquoi notre état moral est-il si fragile ? Comment marcher dans la vie comme un chevalier sans peur et paisible ?

C’est toute la question. L’enjeu. Trouver la voie par laquelle une amélioration locale (ici, au dojo) peut faire tache d’huile et imbiber positivement les autres facettes de notre personne, les autres « moi » sociaux. Comment faire pour que l’apaisement devienne un phénomène centrale et permanent de notre être, et pas un phénomène ponctuel et périphérique ?

Le monde est notre dojo ; le dojo est comme le monde.

Le monde est le lieu de la voie, de l’amélioration de soi et de tous, le lieu de l’exercice de la paix.

Le dojo est la métaphore, concrète (c’est un lieu bien réel), du monde entier. Et l’aïkido est la métaphore concrète (c’est une pratique bien réelle) de l’expérience des obstacles du monde.

L’aïkido au dojo est un miroir, simplifié, du monde réel. On y éprouve l’opposition. Et on y découvre comment ne pas répondre à l’opposition par plus d’opposition, mais par la dérivation.

Offrir un peu de lumière, dissoudre les ombres, d’un geste simple.

 

 

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Pour une extension douce de la colonne

Extension douce de la colonne

Voici en vidéo l’exercice d’extension douce de la colonne vertébrale pratiqué ce mardi 4 avril 2017 à l’aïkido, en tout début de séance :

https://www.youtube.com/watch?v=oh7IO3ax2JI

Cet exercice permet d’augmenter l’espace intervertébral et donc de produire une meilleure hydratation des disques intervertébraux.

Les disques intervertébraux s’hydratent et se régénèrent la nuit, durant le sommeil. Et ils sont écrasés et « asséchés » durant la journée, du fait de la position verticale et de l’attraction terrestre.

Exercice salutaire, à tout âge.

Se détendre. Prendre son temps. La respiration naturelle fait le boulot.

A transmettre à vos amis.

Merci à Alain Marx pour sa vidéo.

 

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Entretien sur l’aïkido avec Laurent Daviau, dans son émission radiophonique, L’Esprit de l’Escalier, diffusée le 9 mai 2016

(Lien vers l’émission)

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(L’entretien a été retranscrit presque mot pour mot, en conservant son oralité.)

Laurent Daviau : Bonjour Philippe Herr. J’ai toujours été attiré par les arts martiaux, je dois le dire ; dans ma jeunesse, j’ai pratiqué, quelque peu, mais j’ai toujours été attiré par l’art martial que vous pratiquez. Vous êtes professeur d’aïkido, et vous avez quelle ceinture, quel grade ?

Philippe Herr : Je suis 3ème dan.

LD : Alors si vous vous livrez à un moment d’introspection, est-ce que vous avez le souvenir de votre première rencontre avec et art martial ?

PH : Oui, tout à fait, c’était il y a plus d’une trentaine d’années, j’étais venu au dojo où petit je pratiquais déjà le judo, j’ai eu l’impression de voir des gens danser devant moi, sans aucune perspective de confrontation ni de compétition ; mais le plus étrange, c’est que je suis venu à cette première séance suite à trois rêves que j’ai faits, de suite, dans lesquels je pratiquais un art martial, qui n’était pas le judo, le seul que je connaissais à l’époque, mais qui était autre chose et je ne savais pas ce que c’était. Par contre, le lieu était bien le lieu où je pratiquais le judo quand j’étais petit. Donc, j’ai fait une chose particulière, c’est que j’ai ouvert le Quid, j’ai regardé la liste des arts martiaux, et je suis tombé sur une définition, absolument magnifique, qui était : « Aïkido : art martial consistant à faire UN avec soit, puis avec l’autre ». Et cette définition m’est restée ; elle résume de la manière la plus synthétique cette pratique martiale ; je la trouve extraordinaire, je remercie le Quid pour une telle vision si parfaite de cet art martial. En fait, je manquais d’activité physique, parce que pendant deux ou trois ans je n’avais pas fait de sport, pour des raisons physiques (un problème de pied), donc au lycée je ne pratiquais pas d’activité avec mes camarades, et mon corps, à un moment donné, a dû manifester ce besoin d’activité physique, et je pense qu’inconsciemment ces rêves sont venus du fait que j’avais pratiqué le judo pendant un certain nombre d’années auparavant et ça m’a conduit à retourner dans ce dojo. J’ai assisté au premier cours d’aïkido, je me suis inscrit à la fin de la première séance que j’ai regardée, et j’ai pratiqué dès la semaine suivante, complètement fasciné par quelque chose qui à la fois possédait une philosophie comme fondement, et qui n’invitait pas à la compétition. Il n’y a pas de compétition en aïkido. C’est du développement personnel, et néanmoins c’est quand même un art martial qui possède son efficience et son efficacité. Donc j’ai commencé à lire plein de choses sur la question… Bon, il n’y avait pas encore Internet… Maintenant, les jeunes qui commencent l’aïkido, en quelques mois peuvent avoir accès à des ressources et des visions de la pratique extrêmement multiples, qu’à l’époque on ne pouvait pas avoir, on ne pouvait aller que dans d’autres dojos, faire des stages, ou lire des livres, – oui, les livres existaient déjà (sourire)… Je pratiquais deux à trois fois par semaine, et j’ai commencé en 1981 ou 1982, entre 17 et 18 ans.

LD : À quel âge peut-on commencer cette pratique ?

PH : Je dirais… pas avant 6 ou 7 ans, quand même. A la limite, je conseillerais peut-être plutôt aux gens qui ont des enfants en bas âge de leur faire commencer le judo. Parce que l’aïkido, d’une certaine manière, est plus sophistiqué, et comme il n’invite pas à une confrontation spontanée, ça peut ne pas directement convenir à des jeunes qui aiment, qui recherchent le contact et la dépense d’énergie immédiate. C’est vrai que l’aïkido est déjà une forme de canalisation. Donc on peut commencer par le judo, et peut-être, vers huit ans, commencer l’aïkido, pourquoi pas.

LD : On en parlera après. Ce n’est pas votre métier… Vous êtes professeur d’aïkido, mais vous avez peut-être plusieurs vies, en tout cas vous avez plusieurs activités, vous êtes professeur…

PH : Oui, je suis enseignant, de français, dans un lycée, à Troyes. Après avoir enseigné quelques années en collège, en Haute-Marne… Mais bon, c’est vrai que je n’ai pas toujours fait ça. Je ne sais pas si c’est important de faire un parcours rapide de ma vie professionnelle…

LD : Non, non, pas du tout, mais c’est toujours intéressant de savoir qu’on a d’autres activités, qu’on pratique un métier, et que là, l’aïkido, c’est…

PH : En tout cas, l’aïkido, comme toute pratique sportive, comme tout pratique physique, permet de rééquilibrer une cérébralité peut-être parfois trop dominante, donc… (rires) je pense que l’aïkido m’a apporté un équilibrage dans ma vie personnelle et dans mon énergie.

LD : Vous en aviez besoin.

PH : Oui, je pense que j’en avais cruellement besoin, oui, ça c’est sûr. Je n’ai jamais arrêté, pour cette raison. Je pense que si j’arrêtais l’aïkido, ou une pratique énergétique interne du type de l’aïkido, par exemple le taï-chi-chuan (taji quan) ou le chi-kung (qi gong), qui sont des pratiques apparentées, il me manquerait un plateau à la balance, on va dire.

LD : Et vous avez commencé l’aïkido, et vous avez gravi des échelons progressivement… Comment ça se passe, on passe des ceintures… ? Y a-t-il des ceintures, d’ailleurs ?

PH : Traditionnellement, en arts martiaux japonais, en réalité il n’y a pas de ceintures. C’est une invention occidentale. Pour donner une carotte et une motivation à des gens qui sans ça ne voudraient pas toujours progresser. Mais, normalement, il n’y en a pas. On progresse. Traditionnellement, on va dans un dojo, on fait confiance à un maître, et on y reste dix ans, vingt ans, aussi longtemps qu’on en retire quelque chose, avant que le maître dise : « eh bien maintenant, tu peux aussi aller voir chez un tel ou tu peux aller pratiquer avec un autre qui m’est supérieur », puisque les maîtres savent aussi se situer dans l’espace des qualités et des compétences. Mais en Occident, on est passé à du sport démocratique, on le sait, donc avec des clubs, et pour motiver la plupart des gens et des jeunes, on leur donne des ceintures de couleur. Bon, alors… en aïkido, il y a la ceinture blanche, et puis ensuite il y a la ceinture noire, il n’y a pas de ceintures de couleur, mais il y a ce qu’on appelle des kyu, c’est-à-dire des degrés. Quand on commence l’aïkido on est sixième kyu, enfin quand on commence on est « mu kyu », « mu » ça veut dire « vide », « rien », et après quelques semaines, on passe au sixième, puis cinquième, puis quatrième, troisième, second, premier kyu ; ensuite on peut passer la ceinture noire premier dan, puis le deuxième dan, le troisième dan, etc. Bon, c’est une progression… comment dire… officielle, administrative, qui rentre aussi dans le sport français, mais on peut très bien progresser pleinement dans une discipline martiale sans jamais passer aucun grade… puisqu’en fait on progresse quand on pratique, il n’est pas nécessairement besoin d’une certification officielle, tout dépend de ce à quoi on prétend par la suite.

LD : Alors c’est toujours intéressant de revenir à la formation du mot. « Aïkido », il y a plusieurs racines, si j’ose dire. Le mot est composé de plusieurs autres mots. Qu’est-ce que ça signifie exactement ?

PH : Le mot est composé de trois idéogrammes, chinois ou japonais, puisque l’écriture japonaise est en partie, de par les idéogrammes, d’inspiration chinoise. « Aï » signifie précisément harmonisation, ou bien adaptabilité, adaptation, « ki » signifie « énergie » et « do » ça signifie la voie, le chemin que l’on parcourt pour progresser. Donc, si on combine ces trois idéogrammes, cela fait « aïkido », voie de l’adaptation ou de l’accord des énergies, voie de l’harmonisation des énergies. Alors, de quelles énergies ? Comme l’a donné la magnifique définition du départ [celle du Quid], d’abord s’harmoniser avec sa propre énergie, et une fois qu’on s’est unifié sur ce plan, travailler l’harmonisation avec l’autre. Ceci dit, cette définition pourrait parfaitement s’appliquer à la danse de salon, puisque qu’est-ce qu’on fait quand on danse avec quelqu’un… ? On s’harmonise, sur la base de mouvements, de rythmes, avec le corps et l’existence vivante de quelqu’un d’autre… Donc l’aïkido peut être vu comme une forme de danse énergétique. La seule différence, en tout cas l’une des différences fondamentales, c’est l’objectif ; puisque le but est d’arriver à accueillir une attaque, donc quelque chose d’hostile, pour le canaliser d’une manière douce, qui ne heurte ni l’autre ni soi-même. C’est la quadrature du cercle. C’est un paradoxe complet, l’aïkido. Il est très facile d’apprendre à pratiquer un art martial destructif, à donner des coups de poing, casser la figure à quelqu’un, c’est beaucoup plus simple que de s’accorder à une attaque qui vient vous détruire, et l’accueillir.

LD : Là, c’est un art de la légitime défense, en quelque sorte…

PH : C’est le seul dont la définition et le principe sont parfaitement adaptés au droit français. A savoir, on ne réagit pas plus que…

LD : Et la réaction est proportionnée à l’attaque…

PH : Alors… c’est intéressant, le mot que vous employez : réaction. Parce que normalement, il n’y a pas de « réaction ». On ne « réagit » pas. La réaction est quelque chose de spontané et d’instinctif, qui vient des instincts ; or tout art martial est une manière de reconditionner ses instincts. Pourquoi ? Pour les canaliser et les raffiner. Quand on apprend à raffiner un instinct d’autodéfense, c’est-à-dire un réflexe destructif ou de rejet, quand on le raffine, on peut passer justement à la technique. Qu’est-ce que l’ensemble des techniques, sinon des modalités physiques de raffinement de quelque chose qui normalement sortirait sous la forme d’une bombe… ? Donc tout art martial est l’art de raffiner son énergie, et l’aïkido franchit peut-être un pas, mais idéalement, tous les arts martiaux vont dans la même direction : celle de ne pas détruire l’autre, de ne pas réagir, mais d’accueillir et de canaliser, et même, à un moment donné, d’être capable d’anticiper ce qui arrive. Donc c’est aussi une manière de se placer dans l’espace et dans le temps, ce n’est pas qu’une manière de rencontrer quelqu’un qui vous assaille. C’est une perception de l’espace et du temps.

LD : Une perception, oui ; l’anticipation, c’est être pleinement conscient du moment qu’on vit et des gens qui vous entourent.

PH : C’est une forme d’état de vigilance… dans l’idéal, je dis bien, parce que ce n’est pas si évident au quotidien, il faut être honnête (rires)…

LD : Soyons honnêtes…

PH : C’est un état de vigilance dans lequel, effectivement, la présence qu’on est englobe et s’apprête déjà à accueillir ce qui peut survenir, que ce soit positif ou négatif, dangereux ou favorable. Finalement, c’est une manière d’accueillir le monde.

PAUSE dans l’entretien radiophonique

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LD : Où enseignez-vous l’aïkido?

PH : A l’A.S.P.T.T. de Troyes et à l’U.T.T. (Université de Technologie de Troyes).

LD : Et vous avez combien de licenciés ? C’est un petit dojo ?

PH : Une petite vingtaine d’inscrits. On tourne à une douzaine de présents de manière régulière depuis six ou sept ans.

PD : Quel type d’élèves ou de pratiquants ? Des personnes qui viennent après avoir pratiqué un autre art martial ou qui commencent ?

PH : Nous avons des personnalités très différentes. C’est un club orienté vers les adultes. On est très ouvert. L’orientation est basée sur le développement de la personne, mais au travers de cette pratique, qui reste une pratique dite « martiale ». Mais j’oriente les cours de manière à ce que chacun développe sa présence, son centrage, la conscience de son corps avant toute technique martiale. On va dire que les techniques peuvent idéalement émerger d’un corps unifié. Dans l’idéal, on pourrait même ne pas apprendre les techniques, elles peuvent venir de la créativité d’une personne dont le corps et l’esprit sont unifiés. Mais les techniques peuvent aussi servir de vecteur d’expériences pour orienter son corps. Disons que cela est transversal à presque toutes les pratiques martiales et toutes les pratiques du corps. Par exemple, la danse contemporaine cherche, même plus que l’aïkido, ou plus que d’autres arts martiaux, à développer des sensations et des mobilités de parties du corps qu’on utilise peu en arts martiaux. Donc les arts martiaux utilisent finalement le champ des mouvements du corps favorables à la pratique de défense ou de conciliation. Pour en revenir au nombre de personnes qui sont présentes… Certains restent des années, d’autres expérimentent l’aïkido puis vont pratiquer ensuite autre chose… On a des femmes, des hommes, des gens qui ont peur de leur corps ou qui n’ont pas d’équilibre, et d’autres qui ont une grande expérience du corps et de l’équilibre. Mon enjeu, c’est que tout le monde pratique avec tout le monde et qu’il n’y ait pas de catégories particulières. Il n’y a pas de catégories, en aïkido, il n’y a pas de compétition. On pratique avec le corps qu’on est, le corps qu’on a, et à partir de ce qu’on est, à partir de ce dont on est capable, on essaie de développer ce potentiel. On n’essaie pas de plaquer artificiellement des modalités ou des techniques pour obliger un corps à pratiquer selon des schémas préétablis. Quand on essaie de produire des champions, dans certains clubs d’arts martiaux, on a tendance à plaquer des techniques pour pousser les gens à se conformer, on les conditionne. Moi je prends l’aïkido comme une pratique de déconditionnement.

LD : Vous voyez, ça me laisse sans voix… parce que je pensais au judo, que j’ai pratiqué, donc c’est un souvenir relativement ancien, mais en judo ou en karaté on apprend des techniques, des prises, etc. Là, ça ne semble pas du tout le cas en aïkido, même si par ailleurs il y a des techniques de mouvement, de placement du corps.

PH : Bon, de toutes façons, je suis conduit aussi à « faire le catalogue », comme on dit. C’est-à-dire que les gens veulent apprendre les techniques, c’est normal. Les gens pensent d’abord en termes d’efficience martiale, et ils pensent que l’efficience martiale passe nécessairement par la maitrise de techniques et leur application.

PD : Oui, parce que ce n’est pas du self défense, par exemple.

PH : Non, l’aïkido n’est pas de la self défense. Mais qu’est-ce que c’est que la self défense…? C’est quand quelqu’un vous agresse, et vous avez un certain nombre de techniques qui sont bien adaptées, et vous avez appris à les faire sortir pour bloquer, contrer, détruire, en tout cas repousser l’autre. Ce qui caractérise l’aïkido, fondamentalement, c’est qu’on ne repousse pas l’autre, on l’accueille dans un mouvement d’absorption circulaire, dans un mouvement… disons de spirale, et c’est par cette tangente, par ces spirales qu’on épuise l’énergie de l’attaque ; donc c’est vraiment de la canalisation ; mais pour canaliser, il faut d’abord accueillir. Avec très peu de technique, on peut pratiquer l’aïkido dans l’esprit de l’aïkido. On peut connaître trois techniques d’aïkido, et être un grand maître en aïkido. Ce n’est pas la multiplicité technique qui va faire la qualité de la sensation.

LD : Alors… en préparant notre rencontre, je m’étais penché sur le fondateur de l’aïkido, qui mélangeait au moins deux arts martiaux, donc en 1925, il y a le sabre et puis il y a l’aïkijutsu,

PH : Le fondateur s’appelle Ueshiba, qui est son nom de famille, et Morihei son prénom. Parfois on a « O Senseï Morihei Ueshiba » ; « O » est un terme de déférence, et « sensei », littéralement, en japonais, veut dire « celui qui est né avant ». D’ailleurs, au Japon, les élèves appellent leur professeur « sensei », celui qui nous a précédé, celui dont l’expérience nous a précédé. O sensei Ueshiba, qui a pratiqué plus d’une dizaine d’arts martiaux différents, qui en a fait une synthèse, et qui, à un moment donné, s’est dit qu’il s’agissait de proposer au monde – puisqu’il en a fait une ambition presque mondiale – un art martial qui ne soit pas un art martial de destruction, mais qui travaille dans un esprit pacifique.

LD : Et lui disait que l’aïkido était la rencontre des techniques de combat avec une réflexion métaphysique. C’est en substance ce que vous dites. J’allais parler de la philosophie…

PH : Il est délicat de parler de la philosophie de l’aïkido, parce qu’elle a été reconstruite, réinterprétée… Certains, dans les années 1970, ont pensé que l’aïkido était très « zen »… très enraciné dans le bouddhisme zen… En fait, pas tellement. En réalité, l’aïkido est plutôt enraciné dans le Shintô, la religion traditionnelle des japonais. Le Shintô est une perception du monde très animiste, où on a la sensation que chaque chose, chaque objet, une vieille souche, un gros rocher, un ruisseau…

LD : … a une âme… est un dieu… avec les kami…

PH : Voilà, on a les kami. Alors nous on traduit ça par le terme de « dieux », mais en fait c’est plus proche des « neters » égyptiens, c’est-à-dire que ce sont des divinités, des potentiels divins, des choses qui animent le réel. Alors appeler ça « dieu », si on veut, mais bon, ce n’est pas facile…

LD : C’est la traduction occidentale…

PH : C’est la traduction occidentale… Mais les kami, ce sont des principes actifs qui animent la matière ; finalement c’est ça. Donc toute chose est traversée par cette énergie qui anime les choses, autant l’être humain qu’un bout de bois par terre, ou qu’un caillou. Donc c’est une vision finalement très holistique de l’univers. Bon, on y croit ou pas, peu importe, mais pour le fondateur de l’aïkido, c’était un des outils dont pouvait disposer un être humain pour exprimer sa vision des choses et se développer. L’aïkido était un outil d’accordage avec le monde vu sous l’angle d’un monde animé par des principes vitaux. C’est difficile à exprimer, cela devient vite très abstrait. Est-ce qu’on peut parler de « métaphysique » ? Ce n’est pas évident. Ce n’est pas sûr qu’il y ait vraiment une métaphysique, au sens occidental, dans le Shintô ; il y aurait plutôt une forme d’immanence, c’est-à-dire que les choses qui nous entourent, qui sont « immanentes », sont pénétrées d’âme. C’est une vision antimatérialiste, ou « a-matérialiste », qui s’oppose à celle du monde occidental, laquelle réduit toutes les choses à des objets commercialisables.

LD : Est-ce qu’il y aurait une approche occidentale de l’aïkido, une approche française, une école française ?

PH : C’est une bonne question. On peut se demander si on pratique vraiment les arts martiaux dans l’esprit d’origine. Dès le moment où on transforme une activité physique qui a une dimension spirituelle en un sport compétitif, c’est sûr qu’on quitte l’esprit originel, et l’aïkido fait partie des art martiaux occidentaux qui bénéficient encore au moins d’un écho, d’une ambiance ou d’une atmosphère spirituelle en contact avec le sens que lui a donné le fondateur à l’origine, parce que beaucoup d’arts martiaux ont été dérivés vers des pratiques purement compétitives, et ça c’est un peu dommage, parce qu’initialement, les arts martiaux sont enracinés dans la réalité vivante. Qu’est-ce que c’est qu’un art martial, à l’origine ? C’est une pratique dont quelqu’un a besoin pour défendre ses terres, pour se protéger des gens qui vont venir l’empêcher de continuer d’exister ; c’est un moyen de se connecter au réel, au monde, et de savoir intervenir sans forcément détruire. L’aïkido est très idéal, il donne un projet, il nous invite à une forme de présence dans le monde qui ne soit pas destructrice, mais créatrice. C’est une belle tension vers un avenir idéal. On ne s’arrête pas devant la cible, on essaie d’aller plus loin.

PAUSE dans l’entretien radiophonique

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LD : Je pense à une phrase qu’un enseignant de karaté a formulé un jour, puisqu’il me disait : « lorsqu’on cesse d’apprendre, il faut cesser d’enseigner ».

PH : Oui, eh bien ça me semble évident. Si on n’est plus soi-même capable de recevoir le changement, de se remettre en question, ou d’envisager d’évoluer, de changer, on peut difficilement enseigner. Enfin, on enseignera quelque chose de sédimenté, quelque chose qui est en train de mourir ou qui est déjà mort ; donc il faut être soi-même dans une perspective d’évolution.

LD : C’est-à-dire que la transmission se fait bien par la pratique, et par la connaissance de ce qu’on vit, finalement.

PH : On ne peut conduire quelqu’un sur un chemin que si on est soi-même sur le même chemin, en train de progresser. Alors… progresser… vers où…? C’est toujours la question. En tout cas, idéalement vers quelque chose qui est plus ouvert, plus accueillant. C’est comme de gravir une montagne : plus on gravit, plus on peut voir le panorama, et découvrir que l’horion s’éloigne, et comprendre le sens des choses ; les choses s’imbriquent les unes dans les autres, donc, en effet, il faut être capable d’avancer, d’être en évolution, sinon on ne transmet qu’une vision limitée, là où on s’est soi-même arrêté. Maintenant, ça n’empêche pas, on peut aussi ralentir, accélérer, changer de direction, mais le danger ça serait d’être bloqué, sédimenté, figé, là c’est difficile d’enseigner à quelqu’un, c’est sûr. Maintenant, je pense que dans une vie on peut très bien se trouver à un moment, ou régulièrement, dans des situations où on est en arrêt, parce qu’on est en questionnement, enfin on ne sait pas où on va, on est soi-même un peu bloqué. Est-ce qu’il faut cesser d’enseigner ? Non, non, il faut faire confiance à la capacité de régénération et de ré-évolution.

LD : Alors, Philippe Herr, vous êtes enseignant d’aikido, et vous tenez un blog, sur lequel vous consignez vos réflexions. Depuis quand ?

PH : Depuis 2005, de façon irrégulière. Je tombe aussi sur des références que je veux faire partager. Parfois des réflexions qui dépassent le strict cadre de la technique aïkido, et je les propose.

LD : D’une façon générale, vous avez des considérations sur la technique, sur l’histoire de votre art martial. Alors… j’aimerais que vous me parliez des nœuds.

PH : Oui, j’ai fait un billet sur les nœuds…

LD : Ce billet m’a particulièrement réjoui et étonné.

PH : Alors, je ne sais pas ce qui m’a pris ce jour là, mais c’était une manière métaphorique de présenter l’aïkido. Je suis tombé sur une image qui présentait la forme des différents nœuds dans la marine, il existe des dizaines de nœuds possibles…

LD : … même très compliqués…

PH : Très compliqués… et en voyant ça, j’y ai vu exactement le type d’orientation, de canalisation de l’énergie, ou bien de formes articulaires du corps. En fait, chaque nœud semblait représenter, même plus que métaphoriquement, presque techniquement, terme à terme, de manière isomorphe, des techniques d’aïkido. Dans la manière de faire un nœud, on peut retrouver ikkyo (le premier principe technique), irimi nage, kote gaeshi, des choses comme ça. En même temps, m’était venu à l’esprit, de façon tout à fait secondaire, le fait que Jacques Lacan, le psychanalyste, avait envisagé les complexes psychologiques sous la forme de nœuds. Je crois qu’il avait déjà envisagé une métaphore de ce type là, en disant, finalement, que la manière dont un esprit se construit, dont il s’organise ou dont il forme des complexes peut être comparée à des nœuds ; je crois qu’il y a tout une théorie psychanalytique métaphorique par rapport aux nœuds. Bon, je pense que les nœuds, c’est une sorte de vision transversale qui peut convenir à toute forme de complexité, on va dire ; et les techniques, effectivement, c’est une forme de complexité, et les nœuds peuvent en donner une vision imagée, disons… inspirante. Ensuite, à chacun de voir si cette métaphore lui parle ou pas.

LD : Est-ce que les professeurs apprennent auprès d’autres professeurs et lesquels par exemple. Comment ça se passe?

PH : On fait des stages. Pendant longtemps on suit son maitre, le premier maître qu’on a eu. Ensuite, forcément – c’est le parcours habituel – vient…

LD : … l’émancipation…

PH : Oui, on peut l’appeler comme ça. J’allais dire : rejet, lassitude, questionnement. C’est normal, c’est le fonctionnement de l’évolution d’un être humain, mais « émancipation » c’est pas mal, tout à fait, c’est bien, vu comme ça. Bon… il faut faire attention à ne pas s’émanciper ni trop ni trop tard ; d’ailleurs, c’est le problème ; mais normalement un professeur ou un maître, un vrai maître en tout cas, le sent, le sait, à quel moment son élève peut aller voir ailleurs, et souvent il l’anticipe.

LD : … une bonne mesure du temps…

PH : Voilà… et souvent il lui dit : « voilà, maintenant je te conseille d’aller travailler avec un tel ou autre ». Bon… Ce qui n’est pas mal en Occident, c’est qu’on fait beaucoup de stages, alors que traditionnellement, dans un dojo, à l’origine, il n’y a pas forcément de stages, on est dans ce dojo pendant longtemps, ensuite on va dans un autre dojo ; mais c’est vrai que l’organisation du sport en Occident fait qu’on peut faire des stages toutes les semaines, et donc on rencontre d’autres maîtres, on est confronté à d’autres formes de pratiques, et c’est comme ça qu’on évolue. Voilà… maintenant, il ne faut pas se dispenser, soi-même, tout seul, de travailler chez soi… Mais bon, il faut que ça vienne de l’enthousiasme. Il ne faut pas qu’une telle pratique soit une contrainte que l’on s’impose pour arriver à un niveau technique à partir duquel on se sentirait suffisamment fort ou dominant, – c’est pas ça du tout ! Il faut que ça vienne d’un désir profond, d’un enthousiasme profond, d’un désir de développement personnel. Finalement, on peut trouver son maître partout, on peut trouver son maitre dans un arbre, dans la manière dont les branches bougent dans le vent, puisqu’elles cèdent sous la poussée du vent. Qu’est-ce que c’est, sinon une vision de l’aïkido ? Dans la manière dont l’eau contourne les pierres sans jamais les heurter. Je me souviens d’une anecdote racontée par Karlfried Graf Durckheim [psychothérapeute et philosophe allemand, initié au zen]. Au Japon, un japonais lui avait dit qu’il marchait dans la rue et qu’il avait heurté un poteau. Le japonais s’était reculé de quelque pas et avait salué le poteau, le considérant comme quelque chose qui lui avait donné un enseignement. Il a ainsi manifesté qu’il avait bien compris l’enseignement que la réalité venait de lui donner, à savoir : sois vigilant. Donc le maître est partout, ce n’est pas forcément un être humain.

LD : Est-ce que les occidentaux sont capables d’appréhender ce genre de rapports ? Est-ce que vous contribuez à transmettre cette façon de voir, ou cette approche. Vous l’avez vous même, vous êtes en réflexion, nécessairement.

PH : Je pense que n’importe quel être humain est capable de faire ce que n’importe quel autre être humain est capable de faire ou de ressentir.

LD : Et être conscient…

PH : Conscient… eh bien ça s’apprend, ça fait partie d’une forme d’éducation. Il est vrai que… je crains qu’en Occident l’éducation n’invite pas trop à l’attention, à la vigilance, à la perception, à la sensation ou à l’intuition ; ça, ce sont des choses qui ont presque disparu de notre éducation. En Orient, c’est encore un peu plus présent, mais… là on se heurte à un grand problème, qui est : quelle orientation donnons-nous à l’édification de l’esprit et de la conscience chez les jeunes, aux générations futures ?

LD : Est-ce qu’au sein de la fédération française d’aïkido, il y a cette conscience des chemins à prendre et… Est-ce qu’il y a différentes approches de l’aïkido ?

PH : Oui, il y a différentes approches de l’aïkido. En France, il y a deux grandes fédérations, et il y a aussi des groupes associatifs qui ne sont pas forcément rattachés à ces deux fédérations. Bon, globalement tout le monde s’entend pour considérer que l’aïkido correspond bien au sens du mot « aï-ki-do », c’est-à-dire « harmonisation des énergies dans le but de pacifier ». Ensuite, il y a des sensibilités dont certaines sont plus spiritualistes, d’autres plus énergétiques, peut-être encore très inspirées des années 70, c’est-à-dire d’une vision peut-être « holistique », et puis il y a des visions de l’aïkido qui sont plus techniques, et peut-être plus sportives, au sens occidental. Mais à ma connaissance, en France en tout cas, et même je crois en Europe, il n’y a pas d’aïkido compétitif, bien que je sais qu’il y a un petit courant d’aïkido qui aimerait le faire passer sous les fourches de la compétition, mais ça, ce n’est pas de l’aïkido, c’est paradoxal, on ne peut pas à la fois accueillir quelqu’un qui vient avec des intentions destructrices, et dériver son énergie en le préservant et en même temps considérer qu’on puisse rentrer dans une compétition sportive où il faut gagner des points en bloquant quelqu’un, en le mettant à terre… Enfin… je ne sais même pas sur quoi on peut gagner des points, puisque la compétition est quelque chose qui se passe dans le temps, or un mouvement d’aïkido se produit dans l’instant, il n’y a pas de durée, on est hors temps. Au moment donné où on s’adapte parfaitement à l’attaque de l’autre pour la compléter et la neutraliser, c’est-à-dire pour la rendre neutre, pour la pacifier, il n’y a pas de temps, c’est hors temps.

LD : C’est absolument passionnant, je vous écouterais pendant des heures. On va devoir s’interrompre. En tout cas je vous souhaite bonne continuation pour votre pratique et l’enseignement de votre art martial, l’aïkido. Ça donne envie de pratiquer.

PH : Je pense que l’aïkido est un bel outil de développement social, personnel et collectif, pour un monde peut-être plus paisible.

LD : Merci beaucoup d’avoir pris sur votre temps. Je vous dis à très bientôt.

Complément : une Réflexion sur les grades en aïkido, par Pierre Magadur…

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Le grand résonnateur

cloches

Je voudrais garder trace d’une sensation, cette fois plus agréable que mes réveils en sueur de la dernière nuit : j’ai vibré comme une cloche. Oui, amusant. J’étais allongé, il devait être quatre ou cinq heures du matin, dans un état de demi-sommeil. Mon corps a été traversé par une onde ; j’ai été saisi par la sensation d’être dans une cloche, dans un grand résonateur ; ou d’être une cloche moi-même, comme une cloche de cathédrale, immense, puissante, vibrante, la cloche qui fait résonner tout l’édifice et dont l’onde se diffuse dans la ville entière. J’ai reconnu cette sensation comme fondamentale, comme un exercice essentiel à développer. Pour être UN, il faut apprendre à vibrer : mettre les cellules du corps à l’unisson, l’environnement physique à l’unisson, et ainsi, telle dans une toile sonore, vibrer à une fréquence générique qui intègre toutes les autres fréquences. Devenir une onde fondamentale. A cette fréquence vibratoire de son être, on parvient à entrer en contact avec la vibration fondamentale de n’importe qui, de n’importe quoi. Il m’est venu à l’esprit, toujours allongé, que c’était là la technique martiale ultime, dans l’esprit d’un art pacifique comme l’aïkido. On génère une onde porteuse qui permet de canaliser l’énergie, l’intention, l’être d’autrui. On entre en contact direct avec son centre vibratoire. Son centre vibratoire perçoit que l’on vibre soi-même à une fréquence encore plus fondamentale : la fréquence générique englobante. Éprouver cela, c’est comme d’être dans son foyer, dans sa maison spirituelle, son vrai lieu de vie. C’est se laisser porter par l’onde initiale originelle. Je n’ai pas eu, cependant, la sensation d’être en vibration avec le cosmos ou l’univers. C’était une sensation vibratoire terrestre. Mais elle englobait, dans sa résonance, la totalité du réel terrestre, les êtres animés comme les êtres non animés. Ce que je peux dire encore, c’est que la caractéristique de cette fréquence vibratoire était de n’être ni trop lente, ni trop rapide : elle était assez rapide, mais pas au point que je ne puisse en ressentir la succession des hauts et des bas de la sinusoïde. En effet, il me semble qu’il s’agissait d’une onde sinusoïdale, acoustiquement « pure ». Elle pouvait s’ajuster, s’accorder, se modifier et prendre, à partir de là, l’aspect d’autres formes d’ondes. Elle pouvait sans doute être composée, « complexe ». Je n’en peux dire plus. L’image qui demeure est celle d’une grande cloche d’airain (cuivre et étain), que frappe un battant interne ou externe. La vibration produite englobe et intègre tout ; elle traverse tout le réel ; elle connaît tout à l’instant qu’elle vibre. Expérience de l’unité par l’unisson.

Complément : définitions utiles de « résonateur » :

  • Corps capable de vibrer et d’entrer en résonance.
  • Dispositif constitué par une cavité ouverte sur l’extérieur qui présente une résonance prédominante à une fréquence déterminée.
  • Système qui possède une ou plusieurs fréquences propres et qui peut, de ce fait, entrer en résonance.
  • Dispositif pouvant osciller avec une période très stable, ce qui permet son utilisation comme base de temps dans les appareils horaires. (Voilà qui est intéressant : la fréquence fondamentale peut s’accorder à n’importe quelle temporalité. En art martial, elle permet d’entrer en contact sensible avec le rythme interne d’une autre personne et d’en percevoir les variations.)

 

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Entretien radiophonique sur l’aïkido avec Laurent Daviau dans L’Esprit de l’escalier

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Château cathare de Peyrepertuse (Corbières)        Mai 2016

          Cette image correspond à l’une de mes dernières fortes impressions. Des hommes ont vécu en pleine nature, dans les hauteurs d’une forteresse médiévale comme je n’en ai jamais vu auparavant dans aucun autre coin de France. On éprouve le sentiment d’être à la fois dans le ciel et parfaitement ancré sur terre. Puissance, unité, courage se dégagent encore des pierres de ce château immense et complexe comme le labyrinthe protecteur qu’il fut.

           De tout en haut, le paysage devient panorama, les pièces du puzzle du monde s’assemblent et révèlent l’unité de l’homme et de la nature. Voilà la sensation vitale que nous mériterions d’éprouver et de chérir à nouveau : sortir la tête du guidon, pour donner à l’esprit l’occasion de rejoindre l’azur, pour élever notre âme.

Ces mots et cette photo, que j’ai prise récemment dans les Corbières, au château de Peyrepertuse, entre deux vertiges panoramiques, accompagnent l’entretien que j’ai eu avec Roland Daviau au sujet de l’aïkido, dans le cadre de son émission radiophonique L’Esprit de l’escalier, diffusée le 9 mai 2016. On pourra l’écouter ici.

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Lama Dondrup Dorje

Wahou !

Lama Dondrup Dorje

C’est à peine croyable. Une vidéo sidérante de trente minutes.

Même si on doutait des actions à distance, il faudra reconnaître les excellents placements de corps et le timing parfait du lama !

Ses explications (en anglais) ont le mérite de fonder l’action dans l’éthique. L’efficience proviendrait même du niveau spirituel et de l’humilité. Et du continuum entre les êtres. Et du vide… Comprenne qui pourra ; mais c’est un vrai spectacle.

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Centenaire d’Itsuo Tsuda au dojo Tenshin (2014)

J’ai de l’affection pour la pratique quasi familiale du dojo Tenshin, où j’avais suivi un stage en 2010.

La lecture des neuf volumes écrits par Itsuo Tsuda m’avait fait forte impression dans les années 80. Je demeure épris de cette sensibilité, qui dépasse l’aïkido, pour se fondre dans la vie.

Merci à Régis Soavi de poursuivre l’enseignement de maître Tsuda.

Régis Soavi - Dojo Tenshin - 2014

Régis Soavi. Dojo Tenshin, 2014

 « Lors du Centenaire d’Itsuo Tsuda au dojo Tenshin (2014) se sont tenues des séances matinales d’Aïkido conduites par Régis Soavi qui ont permis la rencontre de plusieurs groupes créés par d’anciens élèves d’Itsuo Tsuda. L’espace tatamis pourtant conséquent avait rarement accueilli autant de pratiquants venus spécialement de plusieurs pays d’Europe. »

Voir la vidéo de l’une de ces séances

 

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